RDC : le rapport de l’ONU qui incrimine le Rwanda Le panel d’experts des Nations unies confirme que Kigali fournit armes et soldats à la rébellion congolaise
Les autorités de Kinshasa l’attendaient depuis des mois, et son contenu s’avère explosif. Le rapport confidentiel du groupe d’experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo (RDC), transmis à des Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU et que Le Monde s’est procuré jeudi 4 août, accuse l’armée rwandaise d’avoir participé à des attaques contre des militaires congolais et d’avoir équipé et fourni des renforts aux insurgés du Mouvement du 23-Mars (M23). Cette rébellion, née en 2012, a repris les armes contre l’Etat fin 2021, dans l’est de la RDC, le long de la frontière avec le Rwanda.
Les experts de l’ONU, qui ont mené des « inspections sur place » et analysé les « images disponibles », assurent disposer de « preuves solides » démontrant la participation de militaires rwandais à plusieurs attaques perpétrées contre des soldats congolais, dans la province du Nord-Kivu, fief du M23, entre novembre 2021 et juillet 2022. « Les FRD [Forces rwandaises de défense], soit unilatéralement, soit conjointement avec des combattants du M23, se sont engagées dans des opérations militaires contre des groupes armés congolais et contre des positions des FARDC [Forces armées de la RDC]», lit-on dans le document de vingt-neuf pages.
Ainsi, dans la région de Kibumba, le 24 mai, « un grand nombre de troupes des FRD (…), sont entrées en RDC » et ont « attaqué et délogé les FARDC de leurs positions ». Quatorze témoins oculaires, interrogés par le panel onusien, ont estimé leur nombre entre neuf cents et mille. Le lendemain, les attaques menées par les militaires rwandais et le M23 se sont poursuivies « contre les camps des FARDC ». Bilan de ces assauts : 20 militaires congolais tués.
A Bunagana, le 13 juin, un drone a également repéré « environ deux cents hommes, tous équipés d’uniformes, d’armes et de sacs à dos similaires». La légende des clichés aériens, joints aux annexes du rapport de l’ONU, les présente comme des soldats des FRD, insistant sur la présence d’un drapeau rwandais sur l’un de leurs uniformes. Le même jour, les rebelles du M23 ont repris cette ville stratégique, carrefour commercial du Nord-Kivu, à la frontière avec l’Ouganda et à quelques kilomètres du Rwanda.
Ces détails apportés par l’ONU viennent corroborer les nombreuses accusations portées par Kinshasa sur une collaboration du Rwanda avec le M23, depuis l’intensification des conflits, en mars. Un sujet qui sera sans doute au programme des échanges du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, avec ses interlocuteurs lors de sa tournée en RDC et au Rwanda, du 10 au 12 août.
Deux soldats rwandais arrêtés
Le 14 juin, un premier rapport du groupe d’experts des Nations unies avait indiqué que le M23 avait commencé à recruter directement chez ses voisins ougandais et rwandais « à partir de novembre 2021 », soit au moment du début de son offensive dans l’est de la RDC. Deux soldats rwandais avaient été arrêtés par les autorités congolaises, le 28 mars. Interrogés par les experts de l’ONU, ils ont reconnu avoir participé à des combats en RDC et contribué à tuer des dizaines de militaires congolais.
La présence des soldats rwandais chez leur voisin avait été dénoncée par des diplomates et des défenseurs des droits humains. En juin, l’ambassade américaine à Kinshasa s’était inquiétée de « la présence de forces rwandaises sur le territoire ». L’ONG Human Rights Watch avait confirmé l’incursion et la complicité rwandaise avec les rebelles du M23, dans un rapport publié fin juillet, avançant qu’« un soutien étranger pourrait expliquer l’approvisionnement régulier en munitions du M23 et sa capacité à tirer des barrages de mortier pendant plusieurs heures ».
Depuis fin 2021, la force de frappe des rebelles et le périmètre des zones qu’ils menacent ne cessent de s’étendre. Dans son rapport, l’ONU estime que le territoire tenu par le M23 est « presque trois fois plus grand que celui qu’il contrôlait en mars ».Le nombre de victimes civiles augmente lui aussi. Depuis le printemps, au moins vingt-cinq civils, dont des enfants, ont été « délibérément tués» par le M23, « exécutés sommairement ou touchés par des balles lorsqu’ils tentaient de s’échapper».
« Discours xénophobes »
Les modes opératoires du M23 se sont aussi diversifiés. Les attaques « répétées et directes contre les casques bleus et des positions» de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) font « désormais partie des tactiques du M23 »,souligne le rapport.
La Monusco, déployée dans le pays depuis 1999, est de nouveau sous le feu des critiques. Depuis fin juillet, de violentes manifestations ont éclaté dans l’est de la RDC pour réclamer son départ, occasionnant la mort de quatre casques bleus et de dizaines de civils. Les 14 000 casques bleus dans le pays sont accusés de refuser de combattre certains des groupes armés actifs dans l’Est, à commencer par le M23.
Pour faire face à cette offensive rebelle que personne ne parvient à maîtriser, une coalition de groupes armés a été créée autour de l’armée congolaise, comme le note l’ONU dans son dernier rapport. Lors d’une réunion, en mai, « les chefs des groupes armés ont proposé de mobiliser près de six cents combattants pour soutenir les FARDC », et certains « ont reçu des armes et des munitions de certains membres des FARDC à plusieurs reprises ».
Parmi les personnalités présentes lors de la réunion, selon l’ONU : deux figures des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ce groupe rebelle, initialement formé par d’anciens génocidaires rwandais, est un ennemi de longue date de Kigali. Les autorités rwandaises accusent depuis des années l’armée congolaise de se servir des FDLR pour combattre ses intérêts. De son côté, le président congolais, Félix Tshisekedi, a dénoncé cet usage dissimulé des milices par l’armée régulière. « On n’éteint pas le feu en jetant de l’huile dessus », a-t-il déclaré, le 12 mai.
Ph. Inc. Un Tank des nations unies ( MONUSCO) en RDC.
Mais les conflits avaient déjà commencé à se répandre et à revêtir un caractère ethnique dont les conséquences pourraient être dévastatrices. En marge de manifestations de soutien à l’armée congolaise, dans les discours tenus par certaines autorités politiques, sécuritaires ou de la société civile, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, les experts de l’ONU s’alarment d’une « prolifération inquiétante de discours xénophobes et haineux, incitant à la discrimination, à l’hostilité et à la violence à l’encontre des populations rwandophones, en particulier les communautés banyamulenge et tutsi (…), perçues comme soutenant le M23 et le Rwanda ».
De multiples messages ont circulé sur les réseaux sociaux pour appeler les Congolais à « chasser les Rwandais de la RDC et/ou à les tuer », s’inquiète le rapport onusien. Plusieurs membres des communautés banyamulenge et tutsi, interrogés par les experts dans le Nord-Kivu, leur ont rapporté que, « sur la base de la morphologie et de la langue qu’ils percevaient, divers individus, dont certains membres des FARDC, leur ont dit qu’ils devaient retourner au Rwanda », les menaçant parfois d’« être découpés à l’aide de machettes ».
Un article de Morgane Le Cam publié par Enoch David Aluta Hummer rédacteur en chef de AZZUREPLUS.